Directeur de Publication du Magazine Miroir de l’Art. Décembre 2017.
Légende :
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C.C = Chantal Cheuva
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L.D = Ludovic Duhamel
FEM : Femmes en marche
L.D : Chantal, la série que vous avez et que vous être en train de terminer puisqu’elle sera terminée dans un an, à peu près, vous l’avez prénommée Femmes en marche. Pourquoi pas les Hommes en marche ? Pourquoi pas le Peuple en marche ? Pourquoi pas une autre terminologie ? Elle vient d’où ? C’est une nécessité féministe ? C’est un hasard ?
C.C : Non, alors il n’y a absolument aucune notion féministe, absolument pas. D’abord je les ai prénommées les FEM, c’est l’abréviation des Femmes en marche. Par ailleurs, disons que j’ai fait plutôt ce projet de femmes parce que moi-même étant femme j’avais envie de sortir toutes les émotions que nous pouvons avoir tout au long de notre vie, de l’enfance jusqu’à la maturité.
Pourquoi en marche ? Parce que je pense qu’on est toutes en marche vers notre destin. Je ne conçois pas l’aspect uniquement du mouvement, c’est être également en marche sur le chemin de la vie.
L.D : Etait-ce plus intéressant pour vous plastiquement parlant de créer des femmes, de façonner des femmes, plutôt que des hommes, par exemple ?
C.C : Non, j’aime beaucoup aussi le côté masculin, j’aime bien aussi sculpter l’homme mais le projet a pour sujet la Femme.
L.D : Mais plastiquement, pour vous, ça veut dire quelque chose ?
C.C : Non, du tout. Non, Pas du tout. Je trouve que plastiquement, sculpter un homme c’est aussi beau que de sculpter une femme.
L.D : Ça fait longtemps que vous sculptez ? C’est une vocation ?
C.C : J’ai sculpté mes premières sculptures à l’âge de huit ans où je faisais des petites figurines. Depuis, j’ai toujours travaillé la terre. J’ai fait une partie de mon apprentissage aux beaux-arts et je me suis consacrée complétement à la sculpture. Ça fait maintenant 40 ans que je sculpte. J’ai cassé durant de nombreuses années, jusqu’au jour où une amie a remarqué mon travail et m’a demandé d’exposer.
L.D : Vous avez détruit vos propres œuvres ? Là vous posez en quelque sorte, la question de la création. A quel moment, est ce qu’on s’arrête ? A quel moment est-ce que pour vous, la sculpture est aboutie ? Et à quel moment est-ce qu’on décide finalement de ne pas la détruire ? Qu’est ce qui fait qu’on décide de ne pas la détruire ?
C.C : On le sait. On le ressent. On sait qu’un moment donné on doit s’arrêter… C’est instinctif.
L.D : Vous êtes visiblement très exigeante avec vous-même. Êtes-vous plutôt du style à ne jamais être satisfaite?
C.C : Oui, on n’est jamais satisfait. Je pense que ce qui m’intéresse, ce n’est pas la sculpture que je suis en train de faire, c’est celle que je vais faire qui m’intéresse.
L.D : Alors, le projet FEM, ça va être à peu près une vingtaine de sculptures, vous m’avez dit…
C.C : Oui, Elles sont actuellement une vingtaine dont plus d’une dizaine- à terme -en bronze.
L.D : Cela signifie-t-il qu’elles expriment une vingtaine de postures, de sentiments différents ?
C.C : Oui, c’est-à-dire qu’à chaque posture coïncide un sentiment ou une émotion. Je me situe plus ainsi dans l’expressionisme. Je traite des différents âges de la vie tout en joignant des postures différentes à celles-ci.
L.D : Pourquoi avez-vous choisi de réaliser vingt FEM et non pas dix-huit ou vingt-trois?
C.C : Parce qu’à un moment donné, je voudrais passer à autre chose.
C’est lourd physiquement parlant à porter ! J’envisage de créer des modèles plus petits.
L.D : D’accord, je posais cette question sur le nombre de sculptures, parce qu’en vingt sculptures, avez-vous le sentiment d’avoir réalisé un panel satisfaisant de postures et de sentiments que vous voulez exprimer?
C.C : Oui, parce qu’après on se retrouverait dans le surnombre.
L.D : ça serait de la redite ?
C.C : Oui, je pense. De toute façon, ce que j’aime c’est aller à l’essentiel. C’est tout.
Si j’avais une devise ça serait « aller à l’essentiel ».
L.D : Aller à l’essentiel, aujourd’hui, c’est plutôt aller dans une forme expressionniste plutôt que dans une forme abstraite par exemple ?
C.C : Aller à l’essentiel, c’est de savoir être soi, c’est-à-dire d’être tel que l’on est, de ne pas tricher et d’être soi. C’est tout. Le reste après m’importe peu.
L.D : Quels sont les grands sculpteurs qui vous inspirent, qui vous ont guidée comme ça, qui vous ont montré la voie ?
C.C : Je suis dans une région où il y a eu Dodeigne,… et bien sûr, Dodeigne m’a beaucoup inspiré. Il y a eu aussi Gadenne, Roulland. J’ai connu aussi Sylvianne Léger. ..Tous ces sculpteurs du Nord dans lesquels je ressens bien mes racines.
Après, je ne les connais pas personnellement, mais je citerai, bien sûr, Marc Petit, Lydie Arickx. Ce sont des personnes, qui, incontestablement sont des phares en sculpture.
L.D : La veine expressionniste c’est ce qui est en vous. Ce qui surgit de vos mains, c’est la veine expressionniste.
C.C : Je ne pourrai pas faire autrement que d’être expressionniste.
L.D : Après. Je vous poserai bien la question de l’après. Qu’est ce qui se dessine après les FEM ?
C.C : Les têtes, les visages, j’adore ! Faire une tête, pour moi c’est émouvant.
Après les FEM, je pense que j’aurai deux directions : les têtes et le projet des « petites chaises ».
Je travaille toujours en série. Si je fais des FEM par exemple, automatiquement elles vont être nombreuses, en série. Pareil pour les petites chaises, elles seront nombreuses, assises sur des chaises et en postures, en interactions les unes aux autres. Et les têtes, elles, seront aussi ensemble, et elles se raconteront aussi d’autres histoires.
Je pense –sans être une généralité- que les femmes ont une capacité aux confidences, les nouvelles vont vite par sms.
Et si j’avais un message contemporain à transmettre, ce serait d’illustrer ces temps modernes, avec nos possibilités de communiquer quelles que soient les distances géographiques. On est seules, oui, bien évidemment dans la vie, mais nous sommes toutes ensembles. Il y a souvent un dialogue chez les femmes. On se raconte nos petites histoires.
L.D : Ne s’agit- il pas de la même solitude que chez l’homme ?
C.C : Non, je ne pense pas. Je pense que les hommes et les femmes sont très différents. Je pense qu’on réagit de manière différente.
L.D : Mais au sein de la Société à notre époque, vous pensez qu’il y a une différence dans la façon de vivre entre l’homme et la femme? Serait-on plus apte à l’affronter quand on est femme que lorsqu’on est un homme ?
C.C : Non. Je pense qu’il y a beaucoup plus de pudeur peut-être chez un homme et plus de complicité chez une femme. C’est ma version, c’est peut-être pas la bonne, mais c’est la mienne.
L.D : Vous avez dit qu’il ne s’agissait pas d’une revendication féministe. Je l’entends bien.
On voit souvent des nus qui sont des femmes, mais les femmes expressionnistes, on ne peut pas dire que ce soit un sujet extrêmement couru habituellement par les sculpteurs contemporains, et même plus modernes.
C.C : Oui tout à fait, je suis d’accord avec vous. En plus d’être expressionniste, je déforme. Je déforme les membres. C’est-à-dire que vous allez toujours trouver des membres inférieurs toujours un peu plus longs, assez maigres. Je déforme volontairement avec les volumes placés au bon endroit mais allongés démesurément.
L.D : Alors, est ce que vous êtes de ce genre de sculptrice capable de justifier chaque point de la sculpture ?
C.C : Oui c’est une volonté, ce n’est pas un hasard.
L.D : C’est un questionnement constant, c’est ça ?
C.C : C’est quelque chose qui m’habite. Ça m’habite et dans l’urgence. Je travaille toujours dans l’urgence.
L.D : C’est-à-dire qu’il y a un long degré de maturation et puis après la réalisation est plutôt plus rapide ?
C.C : Je travaille très rapidement. Les sculptures sont presque esquissées.
Au-delà de cette réalisation, j’ai cette impression de devoir faire les choses. Je ne sais pas pourquoi je les fais parfois, mais je dois les faire.
L.D : Est-ce qu’il y a dans la vingtaine de sculptures, certains sentiments particuliers que vous n’avez pas exprimé ou pas pu exprimer ?
C.C : Bien sûr. On est multiple en sentiments. On a beaucoup de choses à exprimer.
L.D : Alors par exemple lequel des sentiments n’avez-vous pas pu exprimer ?
C.C : Bon, par exemple, la prochaine que je vais faire, c’est la femme qui est « ficelée », qui n’ose pas s’exprimer, qui n’ose pas faire. Elle aura la tête inclinée sur le côté. Elle sera les pieds joints, les mains le long du corps, et je vais insérer du tissu tout autour. Elle sera ligotée.
L.D : D’accord. Ça c’est un ressenti par rapport à une partie des femmes actuellement ?
C.C : Oui, peut-être par rapport à d’autres femmes. J’ai beaucoup de chance de rencontrer des modèles qui viennent à moi spontanément. Des femmes de tout horizon, de tout âge et de tout milieu, qui se confient et qui me disent un peu leur histoire. Leur vécu m’inspire au niveau de ma conception des FEM et donne un sens à mon projet.
L.D : Quels sont les réactions en règle générale des spectateurs face à vos œuvres ?
C.C : C’est très difficile. On aime ou on n’aime pas.
L.D : C’est très tranché ?
C.C : Ah oui, complètement.
L.D : C’est dû à l’expression, c’est dû à l’expressionisme en l’occurrence, pas forcément autre chose.
C.C : Certainement. Et puis je décharne un peu. C’est-à-dire par exemple dans les personnes âgées, je vais les creuser. Je vais aller chercher toutes des formes négatives. Par contre, je ne mets aucune douleur dans mes femmes. Mes femmes sont expressionnistes mais je ne veux pas rentrer dans une souffrance.
L.D : Ça peut être perçu comme tel par les spectateurs ?
C.C Bien sûr. Déjà, le fait de traiter la personne âgée n’est pas bien vécu.
L.D : Oui, ça c’est le problème de l’art contemporain. C’est-à-dire qu’effectivement, bien souvent, on va reprocher non pas la façon dont on a traité le sujet mais le sujet en lui-même. Ce qui est quand même paradoxal.
C.C : Tout à fait.
L.D : Donc la série des chaises, c’est celle qui va suivre, enfin l’une de celles qui va suivre.
C.C : Elle est en cours actuellement. Il y aura les FEM, les petites chaises et les visages. Pour l’instant, je ne me disperse pas.
L.D : D’accord. Ce sont des thèmes que vous portez en vous depuis longtemps ou alors qui vous viennent comme ça ?
C.C : On revient toujours au même. Toujours ces dialogues de femmes connectées les unes avec les autres. C’est une série de dialogues en permanence, une rupture de l’indifférence et une possibilité de l’une pour l’autre.
L.D : Et toujours, toujours l’humain chez vous ?
C.C : Oui, car je ne sais pas faire des animaux. Le seul animal que j’ai réalisé, c’est un petit oiseau sur une tête d’une sculpture, ma plus jeune sculpture du groupe. J’ai voulu représenter l’enfance mais l’enfance imaginaire. J’ai traité la petite fille comme un arbre. C’est un petit arbre qui a un petit oiseau sur sa tête. Cà pourrait être le conte : « il était une fois ».
Je n’ai pas voulu traiter l’enfance d’une façon classique, trop formaliste et traditionnelle.
L.D : Oui, c’est vrai que ça chez vous, on voit que ça fait partie de l’ADN de votre sculpture. C’est-à-dire d’essayer de la sortir des sentiers battus aussi un petit peu effectivement comme peut le faire quelqu’un comme Marc Petit. Mais d’essayer d’inventer véritablement un langage. Vous êtes dans l’invention constante d’un langage formel quand même, il me semble.
C.C : Oui je recherche sans cesse ce qui me correspond le plus.
Je suis toujours à la recherche de la vérité, enfin de la mienne…
Je travaille de façon viscérale et toujours dans l’urgence, avec une quête au temps… j’ai un gros problème avec le temps… sans doute l’angoisse de ne pas pouvoir tout accomplir…